Disons-le tout de suite : Oui, elle a bel et bien eu lieu, pendant la Grande Guerre.
En 1914, tout s’était déroulé comme d’habitude : première sortie le 9 avril, seconde le 14 - on avait ramené 3 millions d’huîtres - et même si la 3e n’avait pu avoir lieu le 22 à cause du mauvais temps, le bilan avait été satisfaisant : 181 bateaux avec 1230 hommes pendant 15 heures, la part moyenne de chaque homme s’élevant à 63 Fr. (Journal “Le Salut”, n° 38, 12/05/1914). Ces chiffres “d’avant guerre” permettront la comparaison.
En 1915, la Caravane ne put se dérouler par manque de main d’oeuvre et la pêche aux huîtres fut autorisée toute l’année au chalut, du 1er mars au 30 novembre, sur toute l’étendue de quatre bancs. (“Le Salut”, n° 14, 09/02/1915)
On peut penser qu’économiquement, cette solution n’était guère satisfaisante puisqu’en 1916, on fait d’abord courir le bruit que la Caravane aura lieu avec des équipages … de Cancalaises ! Mais finalement les jeunes inscrits maritimes de la classe 17 bénéficient d’une permission exceptionnelle jusqu’au 23 avril pour y participer .
Selon la coutume, les autorités maritimes ont précisé les bancs qui peuvent être dragués, la durée d’exploitation : 30 heures, les dates extrêmes : entre le 16 avril et le 1er mai.
Malheureusement, le mauvais temps empêche la sortie des bateaux au début de la semaine et la première pêche ne peut se dérouler que le vendredi 21, le Vendredi Saint.
De nouveau, le temps empêche de sortir le samedi. La Communauté des Pêcheurs se réunit : Que faire ? Sortir le lendemain, le dimanche de Pâques ? Mais si on ne le fait pas, on manquera de bras : les permissionnaires seront repartis… Finalement, on passe au vote : 10 voix pour, 6 contre, 4 abstentions.
Et on sort le dimanche de Pâques 23 avril vers 10 heures. Le temps est trop calme, la pêche “médiocre”, on rentre vers 7 heures.
Les jeunes appelés ayant obtenu une prolongation, une dernière sortie peut avoir lieu le vendredi 28 avril et, malgré la brume, la pêche est “assez fructueuse”.
Au total, en trois sorties, les 140 bateaux ont pêché 5.900.000 huîtres marchandes, 10 millions d’huîtres moyennes et petites ont été déposées dans les étalages ("Le Salut", n° 39, 13/05/1916). Ce n’est pas si mal si l’on tient compte du fait qu’il y a nettement moins de bateaux et moins de bras que d’habitude, 600 hommes environ. Seules 4 femmes, des habituées paraît-il, ont participé à cette Caravane qui n’est donc pas un mythe…
La Caravane de 1917 a lieu, elle aussi, au mois d’avril et on fait au moins 2 sorties. La première, sous la neige le matin, ramène une “assez bonne pêche”. La seconde est “fructueuse”, malgré le mauvais temps.
En 1918, la première sortie, le 9 avril, ramène de la “belle qualité”…
En 1920, cinq sorties sont faites : 1ère sortie, jeudi 1er avril, “pêche bonne”; “pêche fructueuse” le 3 … ; “temps assez peu favorable, pêche satisfaisante” le jeudi 22 avril…
En 1921, 228 bateaux sortent 12 fois, montés par 1178 hommes, et ramènent 13 millions d’huîtres marchandes de plus de 7 cm et 2.852.000 de petites. La pêche a rapporté 713.340 Fr. ("Le Salut", n° 39, 13/05/1921).
La même année, le litre de lait est vendu à Cancale entre 55 et 65 centimes et le kilo de pain 95 centimes …
Les chiffrent prouvent donc que les bancs d’huîtres ont continué à nourrir Cancale après 1916 !
Il est alors bien difficile de parler de punition divine immanente, comme le voudrait certaine légende qu'on propage trop souvent.
Certains disent aussi que l’abbé CAMÛ, curé de Cancale, se serait offert en victime expiatoire, s’écriant au pied du Calvaire de la Houle, lors d’une pénurie : “Seigneur, épargnez le troupeau, frappez le pasteur”, et qu’il mourut la même année.
Mais c’était le 28 novembre 1866, 50 ans avant la véritable Caravane de Pâques…