Livre de Paroisse, Folio 90, Recto :
 
L’an 1845 le 9 mai Monseigneur GODFROY SAINT MARC, évêque de
Rennes, a fait sa visite épiscopale et donné la confirmation à Cancale.
La paroisse de St Coulomb était réunie à celle de Cancale pour participer
au bienfait de ce divin sacrement. Nous sommes allés au devant de
Sa Grandeur processionnellement sur le grand chemin avec les petits
enfants portant des étendards qui précédaient un nombreux clergé
et une foule immense de fidèles qui tous ont éprouvé les
sentiments de joie et de bonheur en recevant les bénédictions
d’un évêque si bon et si aimable qui par toutes ses vertus et son
amabilité commande le respect le plus profond et l’amour le plus tendre.
Après une allocution vraiment paternelle, Monseigneur a donné
la confirmation à 533 personnes * Monseigneur sur la demande
que lui en avait faite le curé a bien voulu permettre aux paroissiens
de soigner leurs huîtres le dimanche et de faire leur marée à
cause des grandes pertes qui en résulteraient pour eux s’ils
ne profitaient pas des marées qui, au moins tous les quinze jours
ont lieu le dimanche. Le lendemain Monseigneur a réuni les
enfants, les a exortés à la persévérance et leur a distribué des
images. Il s’est rendu à St Benoît emportant avec lui
tous nos voeux et toutes nos bénédictions.
Gloire à Dieu
DUVAL curé ch(anoine) hon(orai)re. + G. Evêque de Rennes.
 
* Ce qui m’a porté à solliciter cette permission du travail pour le port c’est
1° parce que le civil ne le prohibe plus comme autrefois en sorte qu’il
n’y aurait eu que les méchants à profiter de la pêche au détriment des
enfants soumis et obéissants 2° on peut appliquer à la pêche des
huîtres la règle que les théologiens donnent pour la pêche
du hareng 3° je ne refusais jamais cette permission à ceux qui me
la demandaient, mais il y en avait plus de la moitié qui ne me la
demandaient pas et qui y allaient contre leur conscience.
Sortir en Caravane le jour de Pâques 1916 a-t-il posé un grave problème à cette population pieuse?
En tout cas, le vote de la communauté des pêcheurs fut net .
 
Et curieusement, aucune mention n'en est faite dans le Livre de Paroisse, qui est à la fois un livre de son histoire, mais surtout se veut un guide pour tout nouveau curé de Cancale (Lire l'introduction…, partie "Documents").
 
Fait tout aussi surprenant : 71 ans avant cette fameuse sortie et la justifiant en quelque sorte, le curé DUVAL explique à ses successeurs comment et pourquoi il a demandé à l'évêque DISPENSE permanente en cas de besoin de l'obligation du repos dominical pour ses paroissiens. à cause du travail des huîtres.
 
Alors, en 1916, le Curé SEGOUIN, qui devait connaître ce texte -peut-être même était-il le seul à Cancale à l'époque… - , laissa-t-il tout simplement les gens décider en leur âme et conscience sans intervenir ?
 
Il reste que sortir en Caravane le jour de Pâques, le jour le plus saint de la religion catholique, était le summum du sacrilège.
Mais il est vrai aussi que l'on était depuis près de deux ans  en guerre, et que tous ces soldats avaient déjà eu une prolongation de permission…
Et le curé dans tout cela ?
Disons-le tout de suite : Oui, elle a bel et bien eu lieu, pendant la Grande Guerre.
 
En 1914, tout s’était déroulé comme d’habitude : première sortie le 9 avril, seconde le 14 - on avait ramené 3 millions d’huîtres - et même si la 3e n’avait pu avoir lieu le 22 à cause du mauvais temps, le bilan avait été satisfaisant : 181 bateaux avec 1230 hommes pendant 15 heures, la part moyenne de chaque homme s’élevant à 63 Fr. (Journal “Le Salut”, n° 38, 12/05/1914). Ces chiffres “d’avant guerre” permettront la comparaison.
 
En 1915, la Caravane ne put se dérouler par manque de main d’oeuvre et la pêche aux huîtres fut autorisée toute l’année au chalut, du 1er mars au 30 novembre, sur toute l’étendue de quatre bancs. (“Le Salut”, n° 14, 09/02/1915)
 
On peut penser qu’économiquement, cette solution n’était guère satisfaisante puisqu’en 1916, on fait d’abord courir le bruit que la Caravane aura lieu avec des équipages … de Cancalaises ! Mais finalement les jeunes inscrits maritimes de la classe 17 bénéficient d’une permission exceptionnelle jusqu’au 23 avril pour y participer .
Selon la coutume, les autorités maritimes ont précisé les bancs qui peuvent être dragués, la durée d’exploitation : 30 heures, les dates extrêmes : entre le 16 avril et le 1er mai.
 
Malheureusement, le mauvais temps empêche la sortie des bateaux au début de la semaine et la première pêche ne peut se dérouler que le vendredi 21, le Vendredi Saint.
 
De nouveau, le temps empêche de sortir le samedi. La Communauté des Pêcheurs se réunit : Que faire ? Sortir le lendemain, le dimanche de Pâques ? Mais si on ne le fait pas, on manquera de bras : les permissionnaires seront repartis… Finalement, on passe au vote : 10 voix pour, 6 contre, 4 abstentions.
 
Et on sort le dimanche de Pâques 23 avril vers 10 heures. Le temps est trop calme, la pêche “médiocre”, on rentre vers 7 heures.
 
Les jeunes appelés ayant obtenu une prolongation, une dernière sortie peut avoir lieu le vendredi 28 avril et, malgré la brume, la pêche est “assez fructueuse”.
 
Au total, en trois sorties, les 140 bateaux ont pêché 5.900.000 huîtres marchandes, 10 millions d’huîtres moyennes et petites ont été déposées dans les étalages ("Le Salut", n° 39, 13/05/1916). Ce n’est pas si mal si l’on tient compte du fait qu’il y a nettement moins de bateaux et moins de bras que d’habitude, 600 hommes environ. Seules 4 femmes, des habituées paraît-il, ont participé à cette Caravane qui n’est donc pas un mythe…
 
La Caravane de 1917 a lieu, elle aussi, au mois d’avril et on fait au moins 2 sorties. La première, sous la neige le matin, ramène une “assez bonne pêche”. La seconde est “fructueuse”, malgré le mauvais temps.
En 1918, la première sortie, le 9 avril, ramène de la “belle qualité”…
En 1920, cinq sorties sont faites : 1ère sortie, jeudi 1er avril, “pêche bonne”; “pêche fructueuse” le 3 … ; “temps assez peu favorable, pêche satisfaisante” le jeudi 22 avril…
En 1921, 228 bateaux sortent 12 fois, montés par 1178 hommes, et ramènent 13 millions d’huîtres marchandes de plus de 7 cm et 2.852.000 de petites. La pêche a rapporté 713.340 Fr. ("Le Salut", n° 39, 13/05/1921).
La même année, le litre de lait est vendu à Cancale entre 55 et 65 centimes et le kilo de pain 95 centimes …
 
Les chiffrent prouvent donc que les bancs d’huîtres ont continué à nourrir Cancale après 1916 !
 
Il est alors bien difficile de parler de punition divine immanente, comme le voudrait certaine légende qu'on propage trop souvent.
Certains disent aussi que l’abbé CAMÛ, curé de Cancale, se serait offert en victime expiatoire, s’écriant au pied du Calvaire de la Houle, lors d’une pénurie : “Seigneur, épargnez le troupeau, frappez le pasteur”, et qu’il mourut la même année.
Mais c’était le 28 novembre 1866, 50 ans avant la véritable Caravane de Pâques…
La Caravane de Pâques
1916
Aristide Delarose                                                                                  Cancale et à l'entour
Mythe ou réalité ?